Récemment, un Odieux Connard publiait un récit futuriste. Dans sa vision du monde tel qu’il sera en 2059, l’orthographe aura été réformée. Elle se rapprochera d’un côté vers ce que la génération Skyblog a retenu des règles courantes, et d’un autre côté vers ce que les partisan(e)s de l’égalité hommes-femmes dans TOUS les domaines voudraient en faire. Je suis fasciné par cette nouvelle langue qui se crée dans son texte. Elle est d’une hérésie totale pour le puriste, mais reste toutefois compréhensible. Autant dire qu’elle aurait pu évoluer ainsi sans problème majeur, et être notre vraie orthographe. J’aimerais lister des règles qu’on peut tirer de ce récit, et tenter de les appliquer sur un texte lambda. Histoire de voir si elles tiennent vraiment le coup, mais aussi simplement de se faire plaisir avec de nouvelles règles.
Voici la liste des règles que je vais utiliser. Certaines sont présentes en grand nombre dans les dialogues d’Odieux connard, d’autres en sont déduites mais apparaissent moins. Enfin, il y en a aussi que j’ai rajouté a posteriori pour pousser au plus loin l’expérience de déformation de l’orthographe et mettre sa solidité au défi.
- — La première et la deuxième personne du singulier se conjuguent comme la troisième lorsqu’il n’y a pas de différence de prononciation. Je peut, tu dit, je part.
- — Dans les verbes conjugués sauf les auxiliaires, toutes les terminaisons qui se prononcent « é » s’écrivent « er ». Elle parter, j’ai manger, il avait.
- — Le verbe « être » s’écrit toujours « été » lorsqu’il se prononce ainsi. On été parti, elle a été loin.
- — Le verbe « être » à la troisième personne du singulier du présent de l’indicatif s’écrit « et »
- — L’adjectif démonstratif « ce » et ses dérivés s’écrivent avec un « s ». Se, Sette, Ses, S’.
- — La lettre « à » n’existe pas. Tout part a vau-l’eau.
- — Les noms au pluriel ne sont pas différents des noms au singulier. Des chat.
- — Comme les verbes, les mots qui terminent par le son « é » prennent leur terminaison en « er ». Un paver, un pier carrer.
- — Devant « m », « b » ou « p », un « n » reste un « n ». Nonbre, Ponpe.
- — Le son « feu » s’écrit avec un « f », pas avec « ph ». Un éléfant.
- — Le son « i » ne s’écrit pas avec un « y » à l’intérieur des mots, mais avec un « i ». Psichologie, on y va.
- — Le son « sseu » devant une voyelle s’écrit avec deux « s ». Un seul « s » suffit au début d’un mot. Passient, dousseur, garsson, sourire.
- — L’accent circonflexe n’existe pas. Il peut être omis ou remplacé par un accent aigu ou grave sans règle précise. Forét, chateau, tète.
- — On féminise ostensiblement tous les métiers, titres, postes… Ministresse, auteure, docteure.
- — On utilise « dame », jamais « demoiselle », ainsi que pour leurs dérivés. Madame de Maupin.
- — On accorde en genre les adjectifs selon la règle de proximité. Les hommes et les femmes sont belles, une chienne et un chien affamés.
- — On ajoute le pronom personnel indéfini pour la troisième personne du pluriel « ons ». Ons composent une équipe mixte.
Voici maintenant, devant vos yeux saignant et vos neurones en ébullition, un massacre de Candide ou l’optimisme :
Il y avait en Westfalie, dans le chateau de monssieur le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune garsson a qui la nature avait donner les moeur les plus dousse. Sa fisionomie annonsser son ame. Il avait le jugement asser droit, avec l’esprit le plus simple ; s’et, je croit, pour sette raison qu’on le nommer Candide. Les ancien domestique de la maison soupssonner qu’il été fils de la soeur de monssieur le baron et d’un bon et honnete gentilhomme du voisinage, que sette dame ne voulut jamais épouser parsse qu’il n’avait pu prouver que soissante et onze quartiers, et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l’injure du temps.
Monsieur le baron été un des plus puissant seigneur de la Westfalie, car son chateau avait une porte et des fenetre. Sa grande salle mème été orner d’une tapisserie. Tous les chien de ses basse-cour composer une meute dans le besoin ; ses palefreniers été ses piqueur ; le vicaire du village été son grand-aumonier. Ils l’appeler tous monsseigneur, et ils rier quand il faiser des conte.
Madame la baronne, qui peser environ trois sent cinquante livre, s’attirer par la une très grande conssidération, et faiser les honneur de la maison avec une digniter qui la render encore plus respectable. Sa fille Cunégonde, âger de dix-sept an, été haute en couleur, fraiche, grasse, appétissante. Le fils du baron paraisser en tout digne de son père. Le préssepteur Pangloss été l’oracle de la maison, et le petit Candide écouter ses lesson avec toute la bonne foi de son age et de son caractère.
Pangloss ensseigner la métafisico-théologo-cosmolonigologie. Il prouver admirablement qu’il n’y a point d’effer sans cause, et que, dans se meilleur des monde possible, le chateau de monsseigneur le baron été le plus beau des chateau, et madame la meilleure des baronne possible.
Il et démontrer, diser-il, que les chose ne peuvent pas étre autrement ; car tout étant fer pour une fin, tout et néssessairement pour la meilleure fin. Remarquer bien que les nez ont été fer pour porter des lunette ; aussi avons-nous des lunette. Les jambe sont visiblement institué pour être chausser, et nous avons des chausse. Les pierre ont été former pour étre tailler et pour en faire des chateau ; aussi monsseigneur a un très beau chateau : le plus grand baron de la provinsse doit être le mieux loger ; et les cochon étant fer pour être manger, nous mangeons du porc toute l’anner : par conséquent, seux qui ont avansser que tout et bien ont dit une sottise ; il faller dire que tout et au mieux.
Candide écouter attentivement, et croyer innossemment ; car il trouver madame Cunégonde extrêmement belle, quoiqu’il ne prit jamer la hardiesse de le lui dire. Il concluer qu’aprer le bonheur d’être ner baron de Thunder-ten-tronckh, le second degrer de bonheur été d’étre madame Cunégonde ; le troisième, de la voir tous les jours ; et le quatrième, d’entendre maitre Pangloss, le plus grand philosophe de la provinsse, et par consséquent de toute la terre.
Un jour Cunégonde en se promenant auprer du chateau, dans le petit bois qu’on appelait parc, vit entre des broussaille le docteur Pangloss qui donner une leçon de fisique expérimentale a la femme de chambre de sa mère, petite brune très jolie et très dossile. Comme madame Cunégonde avait beaucoup de disposition pour les siensse, elle observa, sans souffler, les expérience réitérer dont elle fut témoin : elle vit clairement la raison suffisante du docteur, les effet et les cause, et s’en retourna toute agiter, toute penssive, toute remplie du désir d’étre savante, songeant qu’elle pourrer bien étre la raison suffisante du jeune Candide, qui pouver aussi étre la sienne.
Elle rencontra Candide en revenant du chateau, et rougit : Candide rougit aussi. Elle lui dit bonjour d’une voix entrecouper ; et Candide lui parla sans savoir ce qu’il diser. Le lendemain, aprer le diner, comme on sorter de table, Cunégonde et Candide se trouvèrent derrière un paravent ; Cunégode laissa tomber son mouchoir, Candide le ramassa ; elle lui prit innossemment la main ; le jeune homme baisa innossemment la main de la jeune dame avec une vivassiter, une senssibiliter, une grasse toute particulière ; leurs bouche se rencontrèrent, leurs oeil s’enflammèrent, leurs genou tremblèrent, leurs mains s’égarèrent. Monssieur le baron de Thunder-ten-tronckh passa auprer de paravent, et voyant sette cause et set effet, chassa Candide du chateau a grands coup de pier dans le derrière. Cunégonde s’évanoui : elle fut souffleter par madame la baronne der qu’elle fut revenue a elle-mème ; et tout fut consterner dans le plus beau et le plus agréable des chateau possible.
Force est de constater en lisant ce texte que notre lecture est ralentie, par plusieurs cailloux. L’absence de marque du pluriel sur les mots nous semble en contradiction avec les articles qui les précèdent. On se demande alors un bref instant si le nom est au pluriel ou pas. Le verbe « être » souvent conjugué en « été » nous arrête aussi. On doute du temps qu’on lit : imparfait, ou passé composé ? Un autre doute s’installe encore plus fort, entre les verbes du premier groupe à l’infinitif, qui terminent en « er », et les verbes à l’impératif, qui terminent donc aussi en « er ». Cette profusion de « er » est d’ailleurs esthétiquement gênante, et aussi fonctionnellement : ils permettent d’habitude d’isoler les verbes non-conjugués du reste. Ici, ils mélangent tout : verbes non-conjugués, verbes conjugués, et même noms communs.
Si on voulait trouver un avantage à notre orthographe actuelle, on dirait donc qu’elle se lit plus vite, en permettant de discerner rapidement par leur grande variété d’orthographes possibles les fonctions des mots, leur conjugaison, leur nombre… D’un autre côté, on se rend compte que simplifier les règles, et s’approcher du paradigme « un son, une orthographe » ne crypte pas significativement le sens de ce que l’on écrit.